D'une respiration saccadée au souffle fluide, il n'y a qu'un pas, observation et engagement, pour laisser l'empreinte du souffle agir en nous.
J’ai toujours respiré. Vous aussi. Nous respirons ensemble. Autrement nous ne serions pas là à écrire ou à lire. La respiration est automatique, fonction réflexe et biologique de notre corps. On en oublierait presque son existence, car notre mental n’a pas besoin de lui donner l’impulsion d’agir, sauf pour certaines activités physiques particulières où le contrôle du souffle intervient. De manière générale, on ne ressent pas le besoin de respirer, car cela se fait ; inversement on ressentira le besoin de manger, de dormir, de boire : ici le corps envoie un signal et le mental émerge « j’ai faim ! j’ai soif ! j’ai sommeil !». L’action en découle … je mange, je bois, je dors. Rassasiée et reposée, j’ai répondu à un besoin vital conscientisé.
Lorsque la phrase « j’ai besoin de respirer ! » émerge dans notre mental, c’est qu’un équilibre c’est rompu, la respiration été mise à mal, le corps appelle au calme, à la création d’espace, à l’écoute du souffle. La nécessité ultime de respirer advient après un temps de pression où le corps comme poussé dans un retranchement, en perpétuel sollicitation « oublie » de respirer. Les inspirations sont anarchiques, les expirations inexistantes, des apnées non conscientes coupent le souffle. Le ventre est tendu, la région « centre poitrine « ne se déploie jamais.
Notre soupape respiratoire est vaste et s’appuie sur plusieurs aspects. Le principal : votre diaphragme, muscle construit comme une coupole qui s’insère tout autour de votre cage thoracique. Ce muscle exceptionnel doit pouvoir bouger librement afin de faire son job : se détendre vers le bas à l’inspiration, vers l’abdomen, remonter vers le haut de la cage thoracique à l’expiration, et s’étendre sur les côtés. Si ses mouvements sont contraints par un corps tendu, une région abdominal resserrée, une cage thoracique peu mobile, il est coincé. Lorsque votre ostéopathe vous explique que votre diaphragme est tendu, il n’a pas tort ! mais comprenez bien que c’est tout le système autour qui a contribué à cet état.
Le souffle est un fil que je déploie, avec lequel je tisse ma vie, d’un point de vue technique, sensible et créateur. Le chant et la voix sont l’expression sonore directe de la respiration par la vibration même des cordes vocales. A 23 ans, étudiante en théâtre et en art lyrique, j’ai frôlé un nodule et une opération des cordes vocales. Dans ma technique de Chant Classique, je respirais trop haut, créant une pression sur le larynx et un impact trop dynamique sur mes cordes vocales. Je bloquais mon diaphragme, il ne se relâchait que trop rarement vers le bas, ma cage thoracique cherchait une issue vers les épaules, plutôt que de se déployer sur les côtés. J’ai passé 6 mois à travailler avec un orthophoniste exemplaire, son cabinet accueillait toute la crème parisienne des chanteurs, acteurs, vocalistes et conférenciers en tout genre. Deux fois par semaine, 30 min d’exercices, allongée sur le dos, sous ses conseils précis et engagés. Suivait ensuite le travail quotidien à la maison. J’ai adoré !
J’ai découvert ma cage thoracique, mon diaphragme, le potentiel du corps ! Le nodule ne s’est pas déployé, ma technique vocale a trouvé plus de confort. J’ai changé de professeure de Chant, pour affiner cette ouverture extraordinaire vers les sensations du souffle, de la voix qui se pose sur l’air comme la feuille sur un ruisseau pour tracer sa route. La respiration doit être accompagnée, encadrée, par des rives, afin de ne pas s’éparpiller et suivre son flux. Elle doit aussi être libre, et c’est ce cadre qui lui donne souplesse et fluidité. La voix vient se poser sur le souffle et offre la mélodie de la parole et du chant.
Il s’agit alors de travailler la respiration (« travailler » dans le sens : agir sur le réel pour le modifier, relier le délié), lui donner sa place, organiser l’espace du corps pour elle. Le corps est alors un Temple (j’ose le mot), un réceptacle précieux. Un Corps-Souffle. Et dans ma trajectoire, cette dimension ultime de Corps-Souffle est apparue sur un tapis de yoga, comme un cadeau, peu de temps après ce temps d’harmonisation technique avec mon orthophoniste.
Les asana, posture, s’élaborent au sein d’un corps architecturé (avec des poussées et des appuis), dans un mouvement précis et lent, qui permet à la respiration de prendre sa place. ASANA, vient de la racine AS qui veut dire s’asseoir, associée la syllabe AN : souffle, respiration. On retrouve AN dans PRANA, souffle vital, et PRANAYAMA, discipline et technique de la respiration. Lorsque de façon adaptée asana se construit, le souffle est libre, disposé à créer … quoi ? Un état d’équilibre, un accueil de ce qui est là. L’Inde a eu ce génie d’être le berceau de ce travail respiratoire, en lien avec une quête spirituel, vers une « purification » du corps et une réunification conscience du Soi.
Et ce qui est merveilleux, au regard de notre monde contemporain, c’est que toutes les postures de yoga vont participer à engager l’ensemble de la soupape respiratoire, ainsi que les fondations ancrage-élévation, dynamisme-détente du corps. C’est un engagement total, un travail : une action sur le réel pour le modifier, le magnifier.
Le souffle devient fluide, sans à-coups, dénué de perturbations, à l’image du ruisseau qui s’écoule depuis une source fondatrice. D’un mouvement ondulatoire d’un pinceau sur une toile, telle la calligraphie. C’est un mouvement continu, nourri de ses propres étapes, inspiration, suspension naturelle du souffle, expiration, suspension naturelle … Et je retiens alors l’expression « la trace du souffle », empreinte de la respiration, qui permet de goûter à la paix intérieure.
J’aime me laisser surprendre au détour de la vie par une illustration de « la trace du souffle », cette empreinte qui impose un engagement du corps en symbiose avec ce qui en découle : fluidité et lumière. La peinture et le travail de Fabienne Verdier est un miroir possible pour se représenter cette trace. Ici vous écouterez ma capsule audio Yoga à La Une, pour voyager 5 min avec PRANA et le geste pictural de Fabienne Verdier.
Pour suivre mes accompagnements Souffle Voix Yoga c’est ici. Et pour une observation en place quotidienne, prenez 5 min, en marchant, avec pour “mantra” : « Nous sommes des cages thoraciques chargées de rêves », expression de Pascal Rambert, écrivain de théâtre, metteur en scène et yogi.