l'objet invisible trajectoire Arlésienne. Retour sur une temps de résidence à La Madeleine Arles.

Réorganiser l'existant. Relier le délié. La métaphore du kaléidoscope réconcilie les contraires. Permanence et changement, statique et dynamique, extérieur et intérieur, visible et invisible ... Je suis Eléonore Gratton, artiste pédagogue, formatrice Yoga Ify, coach vocal, journaliste Esprit yoga Mag. La transversalité dessine ma topographie.

Kaléidoscope
5 min ⋅ 25/02/2025

A l’automne dernier j’ai décidé de m’octroyer un temps de résidence seule pour déposer les contours d’un tableau corps et voix, une performance. Cette newsletter témoigne de cette étape. Deux lignes de recherche donnaient un premier cadre à ma démarche: 1/ La vibration de la voix, tout ce qu’elle peut fabriquer comme sonorité-sororité et son silence dans l’écho du bruit. 2/ La cellule d’une femme , 5, 6 mètre carré, la femme étant récepteur-émetteur de récits d’autres femmes. 

J’ai exposé brièvement mon projet à Eugénie de La Madeleine Arles (résidence d’artiste et chambre d’hôtes). Février était un bon timing, elle m’a logée dans la Chambre Blanche, 30 mètre carré avec un lit, un parquet blanc, une hauteur sous plafond parfaite pour le son de la voix ; la pièce d’eau est à côté, pas de lavabo-cuisine pour distraire dans la pièce travail, juste table et canapé.

Dans ma valise. Ordinateur, micro, pieds de caméra, mon aquarelle, quelques livres (Fabienne Verdier, les yoga sutras, la physiologie du Silence, Je ne sais ce que je vois qu’en Travaillant-Giacometti et Country Girls de Edna O’Brien ). Un grand cahier noir format A 4 de 320 pages. Mes chants védiques. Mon diapason, instrument de poche à une seule note. Des images (Photos de femmes, L’objet Invisible de Giacometti, chambre de recluse, Catherines’ room…). Dans mon esprit de multiples récits, dont les livres mentionnés dans ma précédente Newsletter. 

Arles m’a tendu ses bras. J’ai marché chaque jour pour comprendre la ville, sa topographie et sa trajectoire bâtie sur un millefeuille Antique, Médiéval, Renaissance dont l’histoire est aussi belle que sanguinaire. Elle m’a donné les objets qui manquaient à ma cellule, ceux pour amorcer une narration non linéaire, un geste (mouvement du corps révélant un état d'esprit ou visant à exprimer, à exécuter qqch) et une geste (l’amorce d’un poème épique corps-voix). La ville m’a happée, littéralement, j’ai cru ne jamais en sortir à chacune de mes errances j’attendais l’instant où elle desserrait ses bras afin de retraverser le Rhône, tracer le quartier de Trinquetaille et revenir à La Madeleine.

J’ai filmé et photographié. Au Musée Antiques, des plaques mortuaires de femme, une main sur une sculpture. Aux arènes, le couloir de déambulation des visiteurs. J’ai fermé les yeux chez Lee Ufan. J’ai attendu que mon cœur batte à nouveau quand j’ai navigué dans la nécropole d’Alyscamps. J’ai écouté les Laudes à Notre Dame de Major.  J’ai lu des heures à la médiathèque aux fonds patrimoniaux à la recherche de données sur le couvent St Césaire construit en 503, puis sur l’ordre des Carmélites, j’ai rencontré un personnage, la sainte de la petite Roquette : Isabeleth. Le premier jour mes objets sont apparus sur le trottoir d’une brocante : un manuscrit du 18 -ème, une dague de la Guerre 14-18, des assiettes cassées, des bobines de fils. Au marché j’ai acheté des citrons et des œufs. Au hammam une femme m’a frotté le corps. 

Chaque matin je pars avec une intention, un but dans la ville, puis les rues m’emportent dans un espace imprévu. L’inattendu a été ma boussole, j’avais juste déplié la carte de mon désir.

Dans la chambre Blanche, Au sol j’ai posé les objets, pour former un espace de jeu. J’ai attendu 3 minutes dans la posture debout, samasthiti, verticalité. Puis je suis rentrée dans l’Espace. C’est comme ça que j’ai travaillé : donner le contour au sol, respirer, rentrer dans l’espace, laisser le geste advenir. Mon vocable. Ma préparation était ma journée, ma marche, mes strates intérieures. J’ai une capacité à passer rapidement d’une concentration à l’autre et à savoir composer avec ce qui émerge. Comme un terreau où le temps a déposé de l’humus en couche épaisse, l’éclosion est évidente et vient de loin. J’ai littéralement compris ça ici, je marche avec mes acquis, tout en continuant à m’exercer. C’est les années de travail sur scène, les différentes traversées artistiques et personnelles, mon regard sur ce qui m’entoure, mes lectures. Les objets, les gens, les mots s’impriment, j’observe beaucoup. Et le parchemin s’écrit au-dedans de moi. Alors en fonction de la lumière, de ce que raconte crit murmure l’objet cela rejaillit, traverse le corps et se fait voix. Le yoga et la méditation ont semé une forme d’acuité qui me permet l’incision et la tranquillité… ou autrement dit dans l’intranquille chaos la brèche suinte, et c’est OK. Je peux en tirer le fil lumineux qui s’en échappe.  Même chargé d’épines le rayon peu à peu diffuse son parfum. Le chaos demeure à l’état de vapeur.

Je filme toutes mes improvisations, je trie, je coupe. Je suis deux Eléonore dans ces esquisses, celle qui émet et celle qui observe, le fait de filmer cautionne ce binôme, mais je sais qu’il très implanté en moi dès que se manifeste le-la geste. L’étape d’après serait la transe, ce n’est pas ce que je recherche, car l’observatrice-émettrice doit rester là.  Une 3 eme Eléonore est là, celle qui reçoit, qui est récepteur. Celle ci doit rester canal et calme. ( c’est une façon de voir les choses évidemment, le prénom ici a peu d’importance, ce n’est plus vraiment “Moi”).

Concrètement je pourrais parler de thèmes, je vais les déposer ici quand bien même ce qui m’intéresse VRAIMENT c’est la non-finalité dans la fulgurance une fois que la source est vive. Pour autant je sens que je suis chargée de récits et l’honnêteté à leurs égards est manifeste : l’invisibilité des femmes à tout époque et en tout lieu, leur instrumentalisation, leur pouvoir de conquérante, leur absolutisme dans le silence, leur transgression, la sensualité, le secret, l’écho de la Nature, la transcendance, drashtu (le Voyant intérieur), shraddha (se poser dans le coeur)… ça fait beaucoup !

Les dernières capsules audio de mon podcast Yoga à la Une se font témoin de cette liste, j’ai enregistré 3 capsules ici, comme des ramifications de ce temps à La Madeleine. Un 1 er autour des photos de Riti Sengupta découverte aux rencontres Photo d’Arles en 2023. Un 2 ème sur la question de l’aversion, dvesha, la stigmatisation comme principe de rejet d’une partie de la société envers une autre ( ici le versus Patriarcat). Et un 3 ème autour d’un livre chiné dans une bouquinerie arlésienne, la Muette, écrit par une Iranienne Chahdortt Djavan.  Mon podcast Yoga à la Une est de facture modeste, c’est un espace de liberté. Un laboratoire où je dépose mes fulgurances liées à la transversalité de mes activités. Art, yoga, monde contemporain, philosophie Hindou dialoguent entre chaos et contemplation.

Arles et la Chambre Blanche:

A la Madeleine Arles il y a un oranger amer. A mon arrivée Eugénie et Ludo me disent n’avoir jamais eu le temps d’en tirer le suc, l’envie est là mais leur maison donne déjà bien à faire. Un soir je rentre en amitié avec l’oranger, je cueille environ 80 petites oranges amères et les emporte dans ma chambre. Au sol elles dessinent des formes, associées à mes objets elles deviennent comme des cartes du Tarot de La Madeleine, je lis à travers elles. Nous avons passés deux jours ensemble à se dire la bonne aventure. Nettoyées puis épépinées, découpées avec reconnaissance et enfin cuites, leurs écorces ont une saveur de folie et chantent sous les papilles. 

Les oranges amères de la Madeleine:

Il me reste 48 heures à explorer ici. Je souhaite faire un inventaire des sons-chants que j’ai enregistré et écrire sur mes images. J’ai rendez vous au fonds patrimoniaux pour consulter un livre sur la petite Sainte de La Roquette. Une deuxième tournée de confiture m’attend aussi. A Paris, je retrouverai mon amie Sarah Di Bellah, merveilleuse dramaturge, qui va m’aider à tisser mon vocable et son vêtement. Les cours de Yoga reprennent bientôt, les articles du Magazine, ainsi que mes week ends de formation Yoga avec 2 promo extra qui m’inspirent pour ma pédagogie. Cette parenthèse à la Madeleine ne se referme pas, elle est inscrite en moi.

Kaléidoscope

Kaléidoscope

Par Eléonore Gratton

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