De l'ombre à la lumière, comment la méditation transcende les obstacles

Kaléidoscope s'anime autour de mes pratiques, yoga, voix et art. Elles créent un organisme vivant, un tissu malléable et souple. La trame est la Souffle, son fondement la Présence. Du sutra I. 30 de Patanjali, à la peinture d'Ana Eva Bergman, trouvez votre axe de contemplation pour souffler sur les ombres.

Kaléidoscope
4 min ⋅ 24/09/2024

Un texte m’accompagne depuis 2009 : le Yoga Sutra de Patanjali. Recueil de référence pour cette discipline holistique, il recouvre 196 aphorismes écrits au début de notre ère, sur une période d’environ 300 ans ... Sutra a la même étymologie que notre mot suture, c’est l’idée d’un fil qui relie des perles, des actions, un tissu. On peut penser aux points de suture qui répare une plaie, celle de la chair ou l’âme. Réunir à l’aide d’un « fil rouge » des parties séparées, pour restaurer le vivant.

Le yoga n’est pas une voie de lumière absolue, c’est une proposition de percevoir la vie telle qu’elle est, de discerner ce qui se joue en soi pour aligner davantage nos actions dans un esprit d’équanimité. Les postures asana sont un outil parmi d’autres. Dans le yoga contemporain, elles en restent le flambeau et pourtant vous pouvez faire du yoga, être en yoga, sans dérouler un tapis. Les postures sont un moyen pour expérimenter le corps, poser la respiration, observer les commentaires du mental, le flow de pensée. Si elles demeurent une attitude uniquement physique sans intégrer concentration fine, souffle présent et esprit assagi … elles restent à l’état de gymnastique simple.

Les sutras sont là pour ouvrir la voie de la réflexion vers d’autres aspects fondamentaux du yoga : observer le « qui suis-je » en relation avec le « qui sommes-nous ensemble » et marcher vers un état méditatif. Les deux sont liés. Ils inscrivent le yoga à sa juste place: un outil de connaissance de soi. Svadhyaya, en sanscrit, sva, soi, adyaya, étude par les textes et l’observation du quotidien. Svadhyaya est un des trois piliers du kriya yoga. Yoga est une discipline qui ne dissocie pas corps et mental, car ils sont intrinsèquement liés. La pensée est un phénomène émergent, lié à ce que nous expérimentons avec tous nos sens, nos réflexes, notre corps. Elle a pour seul pouvoir de se croire cause préférentielle. Sans le corps-souffle, le corps-émotion, elle ne crée rien.

Dans le sutra 30 du chapitre I, Patanjali dépose du lourd, pour tour ceux qui pensait que le yoga était « easy easy » et simple voie de sérénité ou de postures acrobatiques ! Il replace la pratique au cœur de la vraie vie, celle qui a des hauts et des bas. Il énumère les obstacles sur le chemin et les symptômes associés.

Ce sutra m’a désarçonnée à la première lecture. J’en avais du travail pour déblayer définitivement tous les obstacles énumérer ici: confusion, précipitation, torpeur, régression, avidité sensorielle, indolence, doute… Auxquels sont associés des symptômes: blessure intérieure, pensées négatives, instabilité corporelle, respiration saccadée. Autant de perturbations du corps et de l’esprit qui entravent pensée et mouvement, difficile à regarder en face, à assumer, pourtant propre à chaque être humain toute époque confondue. Ma sidération s’est atténuée en comprenant que Patanjali nous ramenait à la vraie vie, pas celle idéalisée. Rien n’est linéaire, on attend toujours l’éclaircie définitive dans le ciel, elle va arriver certes ! Mais derrière la lumière, une ombre peut se profiler rapidement. Et inversement. Ce qui est alors possible, c’est choisir comment appréhender ces mouvements aléatoires de l’incarnation humaine, comment enlever le caillou dans la chaussure, à quel moment on le remarque et qu’en fait-on. Toutes ces étapes, c’est Yoga. Se mettre en action et en relation avec ce qui est là, oeuvrer vers un alignement intérieur, voilà le coeur de cette discipline.

Ce cher Patanjali nous dévoile à la suite de ce sutra une série merveilleuse d’aphorismes en lien avec la méditation. Il propose des supports de méditation pour soulager, guérir, traverser ces obstacles, les sublimer. J’en choisi deux pour ce Kaléidoscope, prenez celui résonne aujourd’hui, et gardez à l’esprit que “méditer” ce n’est pas faire le vide ou être calme, c’est “être là” :

-Méditer sur la respiration. sutra I 34.

-Méditer sur une personne ou un objet inspirant, libre de passion et d’attachement. sutra I 37.

Le premier est une base solide, le cadre même de la pratique méditative et corporelle. Le Souffle fondateur et apaisé. « Je sens l’air qui rentre, je sens l’air qui sort ». C’est un axe pour moi car l’observer englobe technique, sensibilité et spiritualité. La respiration est un indicateur de ce que je vis, comment je m’adapte à mon environnement. Percevoir le mouvement léger du diaphragme, imaginer le souffle circuler comme de l’eau en soi, se relier au Souffle fondateur de la Vie … ça me pose.

Le deuxième induit que cette personne-objet de méditation ne génère pas d’émotions fortes voir négatives, elle éveille un sentiment d’ouverture et nourrit ce qui est stable en nous. Au-delà d’être un modèle à suivre, c’est une personne qui rayonne des valeurs stimulantes et chaleureuses. C’est une invitation à laisser entrer la lumière, ce qui nous éclaire. Fermez les yeux, prenez 10 min avec comme point d’attention, bhavana, cette personne inspirante. Des pensées et sensations émergent, observez.

Ces dernières semaines, c’est l’artiste peintre Ana Eva Bergman qui a été un guide pour moi, libre d’attachement, source d’espace intérieur. Son œuvre décèle une forme de spiritualité, une lumière particulière, dans l’épure et l’organique. Son visage est à la fois émacié et doux. Sa vie est une recherche perpétuelle pour être au plus juste de ses besoins et de ses engagements politiques, en quête de sens, quitte à couper des liens et partir pour se retrouver. Pour trouver sa voie et son expression artistique originelle, elle quitte son mari, voyage en Norvège et en Finlande, dévore la Nature, apprend les techniques de la feuille de métal, écrit dans son journal. Des années plus tard, son oeuvre émerge avec puissance et elle retrouve son premier amour, le peintre Hans Hartung. En méditant sur elle, j’ai nourri en moi la foi, la patience et la joie calme. Ma dernière chronique Poiesis du Magazine Esprit Yoga lui est dédiée, à découvrir bientôt.

Au fil des années, j’ai appris à aimer ce Sutra I 30 qui délimite les obstacles sur la voie, il m’a fallu du temps pour que la peur ne me saisisse plus à sa lecture. Un obstacle est révélateur, il ne nous définit pas.

Pour explorer une autre facette de cet aphorisme, obstacles et lumière, écoutez mon podcast Yoga à la Une, la dernière pastille: 5 min avec Patanjali et Sylvia Plath, poétesse américaine.

Ana Eva Bergman, Stèle et Lune, Fondation Hans Hartung

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Par Eléonore Gratton

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